D’une politique d'hébergement à une politique d'insertion sociale graduée : enjeux de la loi du 11 février 2005 et projet d'interface médiation/gestion locative

 

Chacun d’entre nous sait à quel point il est difficile d’obtenir ou d’accéder à une offre de logement adaptée et ce, d’autant plus dans le contexte d’une crise du logement social. L’enjeu, voire la réforme culturelle que contient en germe la loi du 11 février 2005, nous amène à repenser nos prises en charge à la faveur d’une déconstruction de la politique d’hébergement pour une reconstruction de réponses graduées dans les principales composantes du projet de vie : aide humaine, logement, loisirs, déplacements…

La mise en œuvre de projet de vie, traduit nos engagements dans l’avènement et l’exercice des droits fondamentaux des personnes handicapées, comme elle reflète des choix politiques et de société qui s’inscrivent dans le droit à compensation.

«L’essentiel de la nouvelle orientation à prendre et déjà prise par maintes initiatives, se résume dans le développement de services en milieu de vie et non pas de structures[1]».

Il apparaît alors que «partout et à chaque fois que l’on peut accompagner la personne en difficulté subissant le poids d’une infirmité à vivre et à cheminer dans le milieu où elle habite, dans le milieu où elle travaille, dans le milieu où elle se cultive et où elle se distrait, on doit pouvoir trouver les services adéquats. Ces services doivent intervenir dans tous les lieux où se déroule la vie sociale, pour aider ces lieux à devenir réceptifs et assez aménagés[2]».

 

[1] HJ STICKER « pour le débat démocratique: la question du handicap », édition du CTNERHI, 2000, p28-29.

[2] HJ STICKER, Op. site.



Même si des structures (MAS) demeurent nécessaires, «en premier lieu pour les personnes si limitées par leur corps et leur esprit que nous sommes dans l’élémentaire devoir humain du respect de l’humanité, j’allais dire quoi qu’il en coûte, bien qu’il faille contrôler et budgéter[1]».

La loi du 11 février 2005 réaffirme le droit au maintien de la personne handicapée, dans un cadre ordinaire de vie, qui suggère que les établissements doivent progressivement laisser la place à des services œuvrant «là où les hommes vivent leurs relations de base, là où il y a production d’une société combien riche et multiforme par le nombre de relations, de rapprochements et de conflits qui se tissent[2]».

Dès lors, le placement ne doit plus être alors que la sanction d’un état de fait, la traduction en terme juridique d’une abolition de liberté déjà acquise au niveau psychologique. Ce débat sur l’alternative au placement, qui continue de hanter la construction du secteur médico-social et social, se retrouve au centre des enjeux de la loi du 11 février 2005. Par opposition à l’article 13 de la déclaration des droits de l’Homme (1948) qui stipule « que toute personne a droit de circuler librement de choisir sa résidence à l’intérieur d’un état », le mouvement foucaldien interroge depuis longtemps les placements qu’il qualifie de « rêve d’une cité où l’obligation morale rejoindrait la loi civile sous les formes autoritaires de la contrainte » (Foucault, 1972). Car en effet, « le geste qui place, voire enferme, a des significations politiques, sociales, religieuses, économiques et morales » qu’il est impossible d’ignorer. L’histoire toute entière du traitement du handicap, fait de celui-ci un révélateur démocratique, tant il s’agit par la reproduction à l’identique d’établissement, de prendre en charge aux « frais de la nation, mais au dépend de la liberté individuelle[3] ». Le renouveau de l’approche par l’égalité de droit, postule qu’aucune inégalité ne peut être fondée sur la naissance ou le handicap et nous invite à repenser nos pratiques, à reconstruire un ensemble de possibles pour un plein exercice de droits fondamentaux, en rupture avec un déterministe historique qui s’inscrit dans un ordre moral : « quand les hommes jouissent de leurs facultés rationnelles, c’est-a dire tant qu’elles ne sont pas altérées au point de compromettre la sureté et la tranquillité d’autrui ou de les exposer à des dangers véritables, nul n’a le droit, pas même la société toute entière, de porter la moindre atteinte à leur indépendance[4] ».

Ainsi, c’est le social de première instance insuffisamment irrigué, nourri, stimulé, poussé, voire contraint à donner toutes ses ressources, qui doit être le lieu de l’amélioration et de la mise en œuvre des services nécessaires à une continuité de la prise en charge et à une vie citoyenne.

Nous sommes dès lors amenés à envisager d’autres modèles et à revisiter ce que l’on définit comme milieu ordinaire. Et ce d’autant plus que pour H.J. STICKER, «ce milieu ordinaire est celui que l’on définit comme le lieu moyen, commun, où les citoyens moyens évoluent. On le croit plus ou moins intangible et l’on pense qu’il appartient aux infirmes et handicapés de les rejoindre. Dès lors ce n’est pas cette moyenne, où les “valides” se sentent bien, qui doit se modifier[5]».

Cela s’oppose à la reconnaissance de la singularité des handicaps et nous fait perdre de vue « le continuum qui répartit chacun d’entre nous sur une échelle infinie de degrés. Ainsi, «le milieu ordinaire n’a rien d’ordinaire et la notion de valide n’a aucun sens[6]». Sortir de cette contradiction impose de faire du milieu ordinaire, de la vie citoyenne, une cible privilégiée de l’action sociale pour que chaque individualité y trouve sa place.

Il ne s’agit pas de contraindre la personne à accepter le scénario moyen jamais ajusté à la réalité du handicap, mais bien de construire la diversité au sein d’un même ensemble. « Nous sommes des semblables mais non des identiques », nous dit H.J STICKER, « nous sommes de dignité égale mais ni de capacités, ni d’histoires superposables[7]». C’est à l’intérieur même du milieu ordinaire qu’il faut créer les modalités graduelles d’accueil du handicap.

On pourrait s’appuyer sur cette proposition de modèle gradué, qui permet de définir dans l’ensemble des axes du projet de vie, des niveaux de réponses personnalisés et des combinaisons de ressources singulières dans l’ensemble des axes du projet de vie. N’est-ce pas cela être au centre du dispositif ?

L’offre de prise en charge développée ici permet la réalisation d’un projet de vie personnalisé. La singularité des combinaisons de ressources permises, décline un ensemble de réponses graduelles dans les principales dimensions du projet de vie. Dès lors, l’adaptation à l’évolutivité de la population est rendue possible et tous les modes de vie, ici représentés, peuvent être essayés et co-aménagés avec la personne handicapée.

Les éléments constitutifs d’une ou plusieurs dimensions de projet de vie, ou de la prise en charge, ne constituent plus des freins à l’exploitation dans des domaines privilégiés, des capacités ou potentialités conservées les personnes handicapées. Celles ci bénéficient de compensations sectorielles spécifiques et individualisées respectant leurs aspirations et favorisant l’exploration de l’autonomie et le choix d’un mode de vie approprié. Par opposition à la « captivité » associée au placement, se restaurent ainsi un droit à disposer de soi, un choix des conditions, lieu et personnes avec qui l’on vit et une recherche systématique du meilleur niveau de participation sociale.

D’autre part, cette logique inscrite en réseau amène chaque acteur à introduire peu à peu de la souplesse dans son fonctionnement. Ceci se traduit quotidiennement par la recherche d’adaptabilité, d’un accompagnement sans ruptures, liées à d’éventuelles aggravations ou améliorations situationnelles ou médicales. Pour exemple, le développement de temps partiel au CAT, complété d’un ajustement de l’assistance et du recours à un club de loisirs, permet le maintien sans rupture de travailleurs handicapés vieillissants. N’est-ce pas cela mettre l’usager « au centre du dispositif » ?

 

[1] HJ STICKER, l’idée, 2000, p29.

[2] HJ STICKER, l’ibid.

[3] Foucault : « histoire de la folie à l’âge classique », édition Gallimard, 1972.

[4] Vue sur le secours public in. Œuvre philosophique : CANABIS, Paris, 1956.

[5] H.J STICKER, id, 2000, p45

[6] Ibid, p46

[7]Ibid, p49



 

Schéma: construction de l’offre locale de prise en charge (modèle éclaté)

 

 

 

Commentaire :
La capacité de réponses graduelles et sectorielles, selon les axes qui composent les principaux paramètres du projet de vie, permet de maintenir la personne handicapée en milieu ordinaire et d’affirmer ainsi une volonté de respect du choix de vie.
Un axe supplémentaire concernant les types et modalités de déplacement de la personne handicapée (éléments constitutifs du projet de vie), pourrait être intégré dans ce schéma. Cela suppose la mise en œuvre d’un service spécialisé dans l’évaluation, la préconisation et l’apprentissage des modes de déplacement sur le format du CERD (Centre d’évaluation et de réentraînement aux déplacements) qui n’a pu, faute de moyens et d’engagements des partenaires et financeurs potentiels, être maintenu dans des missions dont les objectifs en terme de réponse graduée et personnalisée étaient pourtant unanimement reconnus par les usagers, leur entourage et les services demandeurs.

Traduire dans nos actes l’engagement le plus élémentaire du droit au choix du mode de vie, nous amène à réinterroger l’articulation des différents acteurs et révèle le besoin de synchronie des processus principaux à l’œuvre dans la mise en place d’un projet de vie : accès au logement, accès au droit, à l’aide humaine et à une prise en charge médico-sociale.
Il faut donc envisager le développement d’une offre de prise en charge selon 2 dynamiques distinctes et complémentaires de :

-    développement longitudinal de la prise en charge, qui relève chaque fois que nécessaire de l’extension d’un accompagnement spécifique à chaque typologie de handicap à la phase séquellaire sur le mode d’une prise en charge holistique, médico-sociale et/ou social tout au long de la vie, permettant la sécurisation, l’adaptation et la reformulation des choix et des modes de vie,
-    développement transversal, constitutif d’un plateau technique de réinsertion nécessaire à la mise en œuvre de réponses graduées, individualisées et évolutives pour réaliser un projet de vie cohérent. Là se joue la création  et l’assemblage d’un ensemble de services permettant de répondre aux questions élémentaires : où j’habite ? comment je me déplace ? quel est mon groupe d’appartenance ? où je pratique mes loisirs ?...
-    la mise en synchronie de l’ensemble: la mise en place d’une synchronie de l’ensemble est déterminante autour de ces projets qui regroupent des acteurs différents. Chacun doit apprendre à reconnaître et comprendre la culture des autres; partage de responsabilités, engagement, synergie entre opérateurs de la filière aboutissent au décloisonnement et à terme à la fluidité dans la réalisation des projets de vie.


-    Il s’agit donc bien ici d’une logique de développement continu et de proche en proche, de solutions graduées et humanisées d’insertion par un « assemblage de services » coordonnés et sur mesure.
-    Exemple de la filière de cérébrolésés  de Gironde :

Cette double dynamique de développement dans la filière cérébrolésé bordelaise, a développé sur chacun des segments, des réponses graduées, ce qui nous permet d’établir un principe d’équivalence qui pourrait se résumer dans les équations

suivantes :

On entend déjà les opposants argumenter une impossibilité de mise en œuvre, faute de moyens de prise en charge. Cependant notre expérience auprès des TC, démontre qu’il est possible de concilier projet de vie et rationalité économique, pour une justice distributive et une allocation optimum de ressources. Cela suggère que la régulation des dépenses par le numérus clausus de places en établissement peut être complétée, voire remplacée, par une approche de type santé publique, à l’instar d’une tarification à l’activité, permettant un financement plus ajusté, de réponses graduées au travers de plans de compensations et une généralisation du fonctionnement en file active qui garantit souplesse, cohérence et rationalité budgétaire.
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